Acte 3 : Tour des Fiz
Chaque année, j'aime partager une immersion en montagne, m'inscrire dans un projet au long cours. Il y a deux ans, c'était dans le massif du Mont Blanc avec l'enchaînement Bonatti, l'année dernière, dans les Écrins avec mon ami Robin Revest et la trilogie du Glacier Noir. Cette année, ce sera dans le massif des Fiz. Ce massif est visible, mais méconnaissable, depuis la route entre St Gervais et Chamonix. Et pourtant, lorsqu'on se penche sur la carte Ign, il forme un U qui saute aux yeux ! 3 branches, 3 orientations, mais des liens. Le plus évident : les socles de schiste qui offrent une mise en bouche épicée ! Passage obligé vers les belles murailles de calcaire sain, ces socles de 200 à 300m seront les agitateurs de neurones journaliers. 7, 8, 10 jours, nous sommes partis sans vraiment savoir combien de temps durerait cette pérégrination. Finalement, nous passerons 8 jours, dont un de repos forcé, pour boucler la boucle, arpentant diverses arêtes, voies sportives difficiles et vieilles voies traditionnelles. Toutes les journées seront bien remplies, sur le plan horaire, physique et bien sûr mental ! A peine nous nous lassions d'un paysage que nous basculions dans une autre face. Autre vue, autre ambiance, même gaz, structure géologique identique. Des invariants donc, mais également des variations qui permettent de définir ce périple comme un véritable voyage. Le voyage n'est-il pas avant tout une itinérance, qui produit l'agitation des sens, la sensation ?! La sensation vient aussi du mouvement. Mouvements de la main, du bras, du corps sur lui-même, du corps dans l'espace, finalité d'usage de ce corps mobile. L'escalade, un voyage donc, porteur de sensations. Tout le monde s'étant essayé aux joies de la varappe peut en convenir. Plus précisément, et selon ce que nous avons dit précédemment, l'escalade est un voyage multiple, car en émane divers types de sensations : sensations du mouvement strict, de la combinaison des mouvements, du déplacement dans l'espace vertical ; enfin, cet enchaînement associe le déplacement dans l'espace horizontal, ce qui décuple encore les éprouvés précédents. Certains auront peut-être des objections quant au support de cette pratique, les basses montagnes... Certes la dimension de la haute montagne, qui donne une ampleur propre à celle-ci manque. L'austérité du monde minéral participe à ce climat unique. Ici, la présence d'un biotope extrêmement varié amène un rapport différent à l'élément, qui semble bien plus humain. Les sensations éprouvées dans les préalpes sont donc autres ! Bien plus que l'escalade, ce genre de voyage propose un parcours varié, démultipliant ainsi sensations et souvenirs, par des combinaisons et des changements d'une fréquence unique. Un souvenir vient illustrer ceci, à la sortie de la voie Gurékian-Lenoir dans l'impressionnante paroi du marteau, dont le grand toit provoque insidieusement les lois de la gravité. Sortis de cet immonde tas de caillou, vaincu par une audace sans nom il y a déjà plus de 60 ans, nous avons retrouvé avec bonheur ce plateau d’un vert profond, avec sa pâture à rendre fou n’importe quel herbivore ! Avec d'abord le plaisir de retrouver une certaine platitude, non celle des terres rennaises, mais celle qui permet de se tenir debout libre de tout artifice. Puis avec la joie de retrouver le monde vivant. Mais ce qui m’a marqué encore davantage, fut le balai incessant d’épaisses volutes blanches, venant caresser de manière presque sensuelle les raides parois d’Ayères.
Parcours :
Jour 1 : Arête de Sales (D, 300m)
Jour 2 : Paroi d’Anterne, Biografiz (8a max, 150+300m)
Jour 3 : Arête Sales-Tête à l’âne, descente par la Râtelière
Jour 4 : Paroi d’Ayères, Entre les gouttes (7c+ max, 300m)
Jour 5 : Le Marteau, Voie Gurékian-Lenoir (5c, 300m) + Pilier sud de Platé (300m)
Jour 6 : mauvais temps
Effet d'un plat de lasagnes sur des alpinistes affamés...
Jour 7 : Arête Aiguille grise de Varan – Colonney + Pic Gaspard : voie Jérôme Orange (6c+, 200 m)
Jour 8 : Croix de Fer : l’Albatros (7b+ max, 300m)